Carlo Suares: L'Homme et le moi


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  En réponse à la question, voici un texte intitulé "L'Homme et le moi", sur des notes prises au cours des conférences et causeries faites par J. Krishnamurti en France, en 1930 par Carlo Suarès.
  L'HOMME ET LE MOI

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On a tendance à penser en Occident que ce que je dis se rapporte uniquement à la tradition hindoue et ne s'applique pas aux races de traditions occidentales. Aux Indes, au contraire, on a tendance à penser que j'expose une philosophie occidentale. Si l'on me juge de façons si différentes, cela prouve que la Vérité n'est ni occidentale ni orientale.

Aux Indes on s'imagine couramment que celui qui parvient à la Connaissance doit porter la robe orange du sannyasin, devenir un mendiant errant et mépriser le corps physique. En Europe d'autres préjugés prennent la place de celui-là. Mais ces préjugés sont des limitations, et on .ne peut pas l,imiter la Vérité. La nature humaine est partout la même, dans tous les climats, et la Vérité est partout la même, elle ne peut pas être contenue dans des frontières, ni appartenir à des races, à des dogmes, à des églises. Chacun peut la découvrir en se servant avec intelligence de son sens critique. Ce que j'appelle intelligence est l'équilibre entre la pensée et l'émotion; le sens critique est le discernement qui nous permet de choisir ce qui est essentiel et de rejeter ce qui ne l'est pas.

Je me rends bien compte de l'indifférence, de la majorité des hommes à l'égard de la Vérité: ils. ignorent jusqu'à son existence. Ils sont comme des prisonniers qui seraient nés dans leur prison et qui ne savent pas qu'elle a une sortie, mais qui souffrent il cause de leur emprisonnement.

La Vérité, qui est la Vie, ne supporte aucune limitation. Pour la découvrir, nous devons nous libérer; et pour nous libérer, nous devons être poussés, par le désir de comprendre, à trouver la cause de nos limitations. La certitude à laquelle nous parvenons alors est le résultat de nos propres luttes, de notre compréhension, de notre doute. Cette certitude, personne ne peut nous la donner.

Le doute et le désir de trouver la Vérité absolue sont les deux stimulants qu'il convient d'éveiller chez les hommes. Ce qui les stimule habituellement, c'est la peur et l'espoir qui naissent de, leurs limitations et qui. les portent à chercher des consolations. Ce besoin d'être réconfortés ne peut pas les amener à découvrir. la Vérité. Ceux qui sont consolés et réconfortés n'ont pas pour cela découvert la cause de leur souffrance, ils ne sont pas sortis de prison. Ils ont trouvé un délassement. passager en changeant de position. Chercher à se faire consoler équivaut à une stagnation, une trahison de la Vérité. La Vérité ne réconforte pas, on ne peut la capter comme un courant électrique, la réduire dans un transformateur, et l'utiliser pour notre confort. Sa grande lumière ne peut pas être tamisée.

Voici à ce propos une histoire hindoue. Une fois, au printemps, tous les papillons de la vallée se réunirent à l'ombre fraîche d'un arbre. Ils discutaient au sujet de la lumière; les uns affirmaient ce que d'autres niaient, jusqu'à ce qu'un papillon se déclarât prêt à aller découvrir ce que la lumière était réellement. Tous attendirent patiemment son retour. Lorsque le papillon revint, il leur apprit que la lumière était beaucoup trop forte pour qu'on pût s'en approcher. Mais les autres ne furent pas satisfaits de cette réponse, et ils voulurent en savoir plus long. Un autre papillon se mit en route et leur communiqua à son retour qu'il n'avait pu s'approcher de la lumière tant elle était puissante et aveuglante. Cette déclaration non plus ne fut pas trouvée suffisante et un troisième papillon s'envola vers le même but. Blessé, il leur dit à son retour que la lumière était si chaude qu'elle l'avait brûlé. Et à sa suite un quatrième partit, mais pour ne pas revenir. La Vérité, qui est Lumière, l'avait consumé.

Ainsi, dans leur souffrance, les hommes préfèrent attendre qu'on leur apporte la Vérité plutôt que d'aller la chercher.

Or, même parmi ceux qui partent, la plupart vont chercher non pas la Vérité mais des consolations. Les consolations ne contiennent pas la Vie dans son accomplissement, car au lieu de faire comprendre aux hommes les causes de leur souffrance, elles rabaissent la Vérité, elles la réduisent en créant des croyances religieuses et des dogmes. La Vie, qui est la Vérité, ne peut s'accomplir qu'à travers des expériences qui ne la réduisent pas.

Les hommes, parce qu'ils ne trouvent le bonheur nulle part, errent d'une cage à l'autre et continuent de souffrir. Ils doivent pourtant se délivrer de toutes leurs cages.

Des âmes bonnes et généreuses, mues par le désir de soulager la misère humaine, s'appliquent à rendre plus attrayantes les innombrables prisons déjà existantes. Elles croient qu'en améliorant les conditions de l'existence elles rendront les hommes meilleurs et plus heureux. Elles oublient qu'une prison modèle est toujours une prison.

Il est évident que les conditions de l'existence devraient être meilleures pour tous, mais il ne faut pas les faire dépendre de la

charité. Elles doivent être créées à la fois par la technique et par la compréhension de la Vie. Une excellente technique qui se développe au détriment du sens de la Vie est inefficace; il faut au contraire, qu'elle soit guidée par le sens de la Vie développé à son maximum. Je ne veux pas décorer les anciennes cages. Je ne veux même pas les démolir. Car même si l'on venait à démolir toutes les prisons des hommes, ils en rebâtiraient d'autres et en décoreraient les murs. Chacun doit apprendre à se délivrer par lui-même. Mon but est de faire naître dans les hommes le désir qui briserait toutes les cages, et d'éveiller la volonté en eux de découvrir la Vérité, le vrai bonheur.

Dans leur recherche d'une prison à l'autre, les hommes basent leur vie sur un espoir toujours trompé. L'espoir est une trahison de la Vérité, car, en fixant l'homme dans une attente de l'avenir, il l'affaiblit et l'éloigne du présent.

Un paradis promis dans le futur ne contient pas même l'ombre de la Vérité, la Vérité en est totalement absente. Dans la mesure où l'on fonde sa recherche sur l'espoir de trouver des consolations, des baumes pour guérir les plaies, on s'éloigne de plus en plus du royaume où se trouve le bonheur, où se trouve la Vérité éternelle. Celle-ci n'a besoin d'aucune prière, ni d'aucune adoration, ni d'aucune religion, ni de rites. Elle est absolue. Et à travers la lucidité totale que chacun, s'il s'y efforce, peut avoir de ses propres actions quotidiennes, de ses pensées et ses émotions, chacun peut la découvrir. Chaque personne, en concentrant toute sa conscience sur ses propres actions quotidiennes, peut discerner parmi elles celles qui expriment la vie, et celles par contre qui conduisent à l'inaction ou qui même sont déjà inactives.

Les actions inactives sont celles par lesquelles on cherche à se distraire danses successions de passe-temps futiles. Ces actions s'attachent uniquement à ce qui n'est pas essentiel, et créent ainsi une souffrance négative dont on ne sait pas sortir. Dans cet état négatif, tout ce que l'on fait enchaîne. L'amour n'y respecte même pas son propre objet, qu'il fait servir au plaisir.

Les actions qui conduisent à l'inaction sont celles où se trouvent mélangés l'essentiel et le non-essentiel. Elles sont déterminées par la passion, par le violent désir qu'a le "je" de durer, de s'amplifier, d'acquérir des qualités. Bien que ces actions conduisent à un état inactif, elles sont quand même créatrices parce qu'elles provoquent une vraie souffrance, positive, par laquelle l 'homme peut trouver une sortie: s'il risque de s'enchaîner, il peut aussi se délivrer en devenant de plus en plus conscient de son but. Ici l'amour distingue le sujet de l'objet et les prend tous deux en considération..

Enfin, les actions qui expriment la vie sont celles qui ne naissent pas du sens du moi, celles qui ne proviennent pas du désir qu'a le "je" de durer et de s'amplifier, celles où la conscience mène de l'individu a disparu: celles qui expriment uniquement l'essentiel. Il ne faut pas envisager l'action essentielle du point de vue des qualités, ainsi qu'on peut le faire pour les autres actions. Il ne faut pas du tout essayer de lui attribuer des qualités, elle n'en a pas, elle est une harmonie parfaite. Cette action n'est donc ni une action ni une inaction, car le conflit de l'action et de l'inaction provenait des qualités.

L'action essentielle est essentiellement simple. Si elle peut paraître négative lorsqu'on veut la considérer par rapport à des sujets et à des objets, elle est au contraire essentiellement positive; en elle il n'y a ni objet ni sujet mais l'amour, qui est l'essence de toute chose. Elle est l'action pure, où la conscience est libérée.
 
 

Mais plutôt que de dégager ainsi jusqu'au bout le fruit de chaque geste, les hommes, dans leur désir d'être heureux, essaient de tout. Tour à tour, ils abandonnent ce qui les déçoit et, limités par la médiocrité de leurs ambitions, passent d'une satisfaction à l'autre.

D'abord, ils croient découvrir le bonheur dans la possession des biens matériels et des plaisirs grossiers. S'ils n'y trouvent pas la félicité qu'ils cherchent, ils tournent leurs désirs affinés vers les biens soi-disant spirituels. Ils espèrent les trouver dans un monde qu'ils croient être réel, mais qui n'est qu'artificiel, créé par l'espoir et leur propre fantaisie. Dans ce monde dépourvu de réalité, se trouvent les croyances de toutes sortes, l'occultisme et le mysticisme.

Harcelé par la souffrance, l 'homme qui cherche la vérité tombe dans un dernier piège. Il a appris que tout soutien extérieur, tout ce qui s'appuie sur une autorité ne peut pas l'amener vers son but. Il se détache alors résolument de tous les objets, et se replie sur son être intérieur où il espère découvrir la vérité. Là, l'ultime déception le guette, car dans cette prison subtile il rencontrera le "je", le sens du moi qui s'oppose aux autres personnes, l'individualité entachée de qualités qui la rendent distincte.

Le "je" dépend du temps et de l'espace; donc, il développe des qualités qui appartiennent au temps et à l'espace. La bataille devient inévitable entre l'individu et la Vérité.

Ce que j'entends par individu, ce n'est pas une unité humaine considérée par rapport à l'espèce. On parle beaucoup de l'individu dans ses rapports avec la collectivité, en opposant simplement au nombre un des éléments qui constituent ce nombre. Un homme considéré comme une unité, comme on le fait pour un objet, pour un oiseau ou pour un arbre, n'est pas un individu dans le sens que je prête à ce mot. Pour moi n'est individu que l 'homme qui a découvert son unicité, l'homme qui est devenu totalement soi-conscient.

Pour éviter de nouveaux. malentendus, je ferai remarquer que l'unicité, telle que je l'entends, n'est pas une qualité d'originalité, mais indique le processus particulier suivant lequel chaque homme atteint la vérité, la manière propre qu'il a de parvenir à son accomplissement.

Nous avons laissé l'homme qui cherche la vérité à sa dernière étape. S'étant détaché de tout, s'étant détourné de tout appui, de toute autorité, il a néanmoins gardé l'espoir de découvrir la vérité en lui-mène. Mais le "je", le "Moi", l'"Ego", dans son exclusion, ne contient pas la vérité, et déçoit son dernier espoir. Il se peut alors que, complètement découragé, l'homme se détache de tout, n'ait plus foi en rien, et s'abandonne à l'indifférence. Il entre dans le monde de la mort, dans le monde du néant.

A un moment donné, il avait connu l'extase de la richesse, du pouvoir, du succès. Ensuite, il s'était grisé de l'extase intérieure pour arriver enfin à cette extase du néant. Maintenant qu'il est dépouillé de tout, qu'il s'est débarrassé de toutes les entraves, qu'il a abandonné les cages, qu'il ne s'appuie plus sur aucune autorité, qu'il ne recherche ni consolation ni espoir,. il lui reste à faire un dernier effort pour aller au-devant de la vérité qui consumera son être. Il est enfin prêt à découvrir la réalité qui contient la négation et l'affirmation, cet absolu qui ne connaît pas les degrés de la perfection, qui est l'être pur, la Vie et la Vérité. Le moment critique est arrivé qui déterminera, ou bien le triomphe de la Vérité ou bien la rechute de l'homme dans l'égo, c'est-à-dire la nécessité de recommencer l'expérience dont il n'a pas appris la leçon.

Pendant qu'il parcourait sa longue route, l'homme était semblable à un bateau sans gouvernail qui est entraîné par le courant d'un fleuve. Poussé par les flots, il prenait son mouvement involontaire pour un mouvement de sa volonté et les reculs provoqués par ses réactions pour un détachement philosophique. Mais le vrai détachement consiste à discerner ce qui est essentiel de ce qui ne l'est pas, et à choisir l'essentiel. Ce choix s'oppose à l'idée que fait d'habitude du détachement : on pense qu'il consiste à éliminer ce qui est illusoire. Cette élimination est un acte négatif. Si au lieu d'éliminer ce qui n'est pas essentiel on s'efforce de saisir ce qui est essentiel, on se détache mais d'une façon positive.

En effet, la découverte de ce qui est illusoire peut mener à la conclusion que tout n'est qu'illusion, Maya. Cette conclusion n'est pas exacte. Les objets sont réels, comme sont réelles les émotions et les pensées. C'est leur assemblage qui constitue un monde irréel où pourtant il nous faut découvrir la Vérité. .

Pour l'ignorant, la réalité est constituée par cet assemblage d'un monde extérieur avec son propre monde intérieur, et par les réactions qui en résultent. Quand il croit agir librement, ses actes sont déterminés par des causes qu'il ne connaît pas, quand il croit être positif, il ne fait que réagir à des contacts extérieurs. Le résultat de toutes ses réactions est ce qu'on appelle une civilisation. Pourtant, la fonction d'une vraie civilisation est d'aider l'homme à parvenir à l'action pure. Si, comme nous le constatons à notre époque, la civilisation n'aboutit pas à cela, elle n'est pas une vraie civilisation. Pour y trouver la Vérité nous devons mettre à jour les réactions qui la produisent, et dans cette irréalité découvrir le réel et nous en emparer. C'est ainsi que nous pourrons rejeter une fausse civilisation; tandis que le renoncement en ferait encore partie.

Constater que nous sommes passifs, que nous agissons automatiquement, c'est commencer à travailler consciemment sur nous-mêmes. Mais pour savoir si nous sommes immobiles ou en mouvement, nous devons établir un point de repère. Ce point de repère est l'action pure, c'est-à-dire le but même que l 'homme doit atteindre. Affirmer ce but, le garder présent, c'est s'en servir comme moyen pour y parvenir. Sans lui, nous sommes dominés par une négation qui nous conduit à l'indifférence complète.

Pourtant, l'homme ne peut pas vivre dans l'indifférence. La vie en lui ne tolère pas cet état statique et le force à bondir en avant ou, au contraire, à retomber en arrière pour recommencer à souffrir. S'il retombe, il peut bien des fois être ramené au point mort de l'indifférence et retomber encore. Il doit briser ce point mort, dépasser définitivement cet état d'indifférence, et aller au-delà, vers un état d'équilibre dynamique, où il connaîtra l'action pure et la création pure. Tant que l'homme n'est pas parvenu à l'action pure, tout ce qu'il prend pour sa création n'est qu'une activité passive éclairée quelquefois d'un faible reflet créateur. Sa poésie, sa musique, sa peinture, son architecture, tous ses arts ne sont encore qu'une activité et non pas une création libre. Ce qui importe, c'est de posséder l'art de vivre qui est la seule véritable création, le seul art positif.

Lorsque l'homme dans la prison de la négation arrive devant le mur qui, édifié par son sens du moi, le sépare de la réalité, il doit encore accomplir l'acte qui le libérera définitivement. En deçà de ce mur, le sens du "Moi", le "je", s'amplifie sans cesse pour culminer dans le plein épanouissement de la soi-conscience. Cette soi-conscience n'est pas encore la libération de la conscience parce que, liée aux réactions, elle s'appuie sur le subconscient et sur l'inconscient, tandis que dans la libération de la conscience il n'y a plus ni subconscience, ni inconscience, ni conscience.

Le mur de la séparation empêche l'homme d'apercevoir la Vérité. L'homme doit le faire disparaître, et cette élimination constitue l'acte positif qui le libère. La vie se trouve de l'autre côté du mur, mais en réalité le mur n'existe pas: c'est l'illusion de la division, le sens du moi qui emprisonne, et c'est lui qu'il s'agit de faire disparaître. Là où le "je" n'existe plus, il n'y a plus de place pour la peur, et c'est alors que l'homme connaît le détachement.

La crainte qu'il avait de souffrir et d'éprouver des désillusions ne l'avait conduit qu'à l'indifférence. Mais l'indifférence est un faux détachement. Le détachement véritable est l 'amour lui-même sans objet ni sujet.

L'homme libéré de ses limitations de la peur, du "je" avec toutes ses qualités, parvient enfin à la connaissance. '\

Au cours d'une première étape, l'homme cherche dans le monde du. relatif la connaissance encyclopédique des objets et des rapports qui existent en eux. Puis il cherche à se connaître lui-même, et cette connaissance l'amène graduellement à être conscient de ses limitations, jusqu'au moment où, pleinement en possession de toute sa conscience, il parvient à la connaissance de l'Éternel. Celle-ci n'est pas une amplification de la connaissance de soi, car ayant dépassé toute conscience elle ne connaît plus ni séparation ni unité. Elle est l'illumination qui donne à chaque chose sa vraie valeur.

Dès sa première vision de la Vérité, 1'homme commence à éliminer son "je" jusqu'au moment où il voit la possibilité de quitter sa dernière prison. Il se débarrasse alors complètement du "je" et se libère de la grande illusion de la séparation. Dès lors, il est libre, il est enfin homme.

Pour moi, le surhomme n'existe pas. On le conçoit généralement comme un être doué de qualités et de vertus exaltées. Mais l'homme libéré n'a pas de qualités, parce que celles-ci appartiennent au "je" dont l'homme s'est précisément dépouillé.

L'Ego développé à 1'extrême s'appelle surhomme ou Dieu; mais puisque le "je" est une limitation, donc une imperfection, comment deviendrait-il (même démesurément agrandi) parfait ou illimité? Lorsque le "je" a disparu, l'homme atteint la perfection et devient pareil à un Christ, à un Bouddha, c'est-à-dire réellement un homme: "Homme" reprend alors son sens propre, I'homme est l'être qui n'a pas d'égo. En lui toutes les limitations (ses qualités) ont disparu. La perfection ne comporte pas de degrés, car l'égo, auquel seul s'appliquent les qualités, n'existe plus.

Pour réaliser la Vérité, il ne faut pas l'envisager du point de vue du relatif. Le relatif appartient encore à l'égo, quand l'égo disparaît le relatif fait place à l'absolu. Tout acte pur, c'est-à-dire tout acte dépouillé du "je", dévoile la Vérité, mais il ne peut procéder que d'un être conscient de la perfection.

L'homme, depuis sa naissance, s'est enrichi de toutes ses expériences. Il a d'abord expérimenté une perfection végétative, inconsciente, puis l'imperfection, qui, d'inconsciente est devenue plus tard consciente. Il arrive maintenant à une simplicité qui n'est aucunement primitive, mais qui apparaît au contraire comme une riche et parfaite synthèse, une oeuvre d'art où pas une ligne ne peut être supprimée.

S'il n'a pas encore réalisé la perfection, il peut néanmoins l'avoir déjà présente à l'esprit comme un but à atteindre. L'acte qu'il accomplit en vue d'atteindre ce but, pour qu'il soit utile, doit être conscient et délibéré. Il faut que l'homme agisse par expérience personnelle. C'est son expérience qui lui démontre que l'égo a un but, et qui le pousse à agir en choisissant librement les actes qui le conduiront à ce but. Si ce Choix demande un effort, il peut tout de même, ben qu'imparfait, avoir du prix, parce qu'il est fait librement, tandis que l'effort qui provient du désir que l'on a de se conformer à l'idéal d'un autre n'a aucune valeur.
 
 

Lorsque l'effort cesse, l'acte devient spontané, la perfection de l'action pure est réalisée. La vertu qui s'accompagne d'effort n'est pas une vertu.

Tout homme libéré atteint la Vérité, comme un Christ ou un Bouddha. Christ et Bouddha sont des noms donnés à des hommes qui ont atteint la Vérité; ce ne sont pas les noms de la VérIté elle-même. Ainsi ceux qui s attachent à ces noms ou aux hommes qui portés ces noms ne trouvent pas l'immortalité, mais ceux qui la trouvent sont ceux qui s'attachent à la Vérité.

Pour être immortel il ne faut pas vouloir préserver son individualité ni son unicité, il ne faut pas non plus vouloir agrandir son "Moi", ou vouloir l'immortaliser dans un Dieu. Au contraire. L'homme doit aspirer à perdre le sens du "Moi", le "je", qui lui cache la Vérité et l'empêche de parvenir à elle. La Vérité ne dépend pas du temps qui se décompose en passé, présent et futur. Elle est le moment, insaisissable et pourtant si réel, du "maintenant" en dehors de la durée. Elle se trouve là où il n'y a pas de "je".

Une petite feuille tendre au creux de notre main contient l'éternité si nous savons la regarder en dehors du "je" et peut nous faire découvrir l'essence de tout ce qui contient la Vérité.

Pourquoi mettre son espoir dans l'avenir? Pourquoi scruter le passé? Le passé, le présent, le futur sont irréels, l'homme qui se fie au temps est pris par son mensonge. Il importe de vivre dans le "Maintenant" éternel, où l'homme, concentré, tendu dans un équilibre parfait, est la Vérité. la Vérité laisse les gens indifférents parce qu'ils ne savent pas que sans elle ils ne peuvent être heureux. Ils cherchent le bonheur hors de la Vérité, et c'est pourquoi le bonheur les fuit.

Il est essentiel que l'on ne prenne pas ce que je dis pour une spéculation de l'esprit. La Vérité dont je parle est le résultat de mon expérience. Je la vis pleinement et constamment, elle existe en chacun et en chaque chose, et sans sa réalisation le bonheur n'existe pas.

Cet achèvement, cet accomplissement n'est pas réservé à une petite élite d'initiés ou de surhommes. La Vérité n'est pas l'apanage d'un centre quelconque, elle n'est pas détenue par une association, une institution, une église, une académie. Elle peut être atteinte par chacun, ceux qui veulent la réaliser doivent eux-mêmes la rechercher.

------------------------- II ------------------------

La vraie simplicité n'est pas une pauvreté intérieure mais provient de la richesse de l'expérience. La pauvreté d'expérience n'est qu'une fausse simplicité, qui crée au contraire, toutes les complications de l'existence.

Il y a une apparente richesse d'expérience qui provient de leur grande multiplication, et il y une apparente richesse matérielle qui provient d'une grande multiplication des objets matériels. Ces richesses, qui pour les uns semblent positives et pour d'autres négatives, ne sont ni positives ni négatives: elles sont nulles si l'on ne sait pas en tirer toute la leçon qu'elles comportent et en dégager l'essence.

De même, il y a une apparente pauvreté d'expérience et une apparente pauvreté matérielle. Celles-ci, loin de multiplier, s'attachent à réduire, et à leur tour semblent négatives aux uns et positives aux autres. Mais elles ne sont négatives ou positives que selon la leçon que l'on sait en tirer.

La richesse et la pauvreté ne sont pas une question de quantité. Une seule expérience peut suffire pour comprendre la Vérité toute entière, si par elle on sait se libérer: la Vérité est la libération de toute expérience. Une seule possession peut suffire à se délivrer à la fois du problème de posséder et de celui de ne pas posséder, car on peut, du fait qu'on l'on ne possède un seul objet, dégager la pleine signification de la possession en général. Il suffit en effet d'examiner son désir impersonnellement et avec grande attention. Ce désir est le même, quelle que soit la quantité des objets que l'on possède.

Il y avait une fois aux Indes un sannyasin, un religieux voué à la pauvreté, qui s'en alla trouver un roi renommé pour sa sagesse. Ce sannyasin possédait, pour tout bien terrestre, deux pagnes. Un jour, pendant qu'il s'entretenait avec le roi à l'ombre d'un arbre, le somptueux palais royal prit feu. Sans même tourner la tête, le roi continua l'entretien, cependant que le sannyasin, inquiet et distrait, ne perdait pas l'incendie de vue... car tout près du palais il avait étendu son second pagne...

Le désir d'être riche et le désir d'être pauvre sont tous deux basés sur la peur. On a peur de ne pas assez posséder ou, au contraire, on a peur de trop posséder. A la base de l'ascétisme le plus pur, nous découvrons la crainte du monde: si le monde est considéré comme une illusion, Maya, on a peur de se laisser prendre par les possessions qui apparaissent aussi comme des illusions, et si le monde est assimilé au mal, les possessions deviennent des tentations qu'il faut fuir.

Mais cette fuite provoquée par la crainte et la lassitude n'est pas le vrai abandon du monde. Le mondé est réel. Tout est réel. Ce qui est irréel, ce qu'il convient d'abandonner, ce n'est pas le monde, ce sont les fausses valeurs que l'on attribue aux choses. Dans ce sens, se détacher, renoncer, veut dire discerner dans l'irréalité de ces fausses valeurs ce qui est réel, et s'en emparer. Renoncer vraiment ce n'est pas rejeter le monde mais le comprendre. Être détaché, c'est ne plus éprouver le désir de posséder ni le désir de ne point posséder. C'est ne plus convoiter les possessions, ni mépriser ceux qui possèdent. C'est ne plus être jaloux de la richesse des autres ni de leur pauvreté. Lorsque nous cessons de penser que la richesse ou la pauvreté sont des privilèges, notre conduite, basée uniquement sur l'harmonie de notre détachement complet, ne nous porte plus à aborder le riche ou le pauvre d'un point de vue particulier. Nous n'établissons plus, entre nous et les autres, des rapports d'après lesquels nous les traitons de telle ou telle façon; mais nous exprimons l'action impersonnelle et pure qui ne comporte pas de rapports ni de situations entre individus, parce qu'elle est une plénitude par elle-même.

Quand la richesse et la pauvreté cessent de nous séduire, nous cessons de leur attribuer une signification humaine. En effet elles sont extérieures à 1'homme.

C'est une grande illusion de vouloir être riche pour faire du bien en aidant les autres, ou de justifier sa richesse par charités. Le tort qui a été commis en amassant des richesses ne peut être réparé par aucune charité. L'argent étant une forme de pouvoir, aider les autres c'est simplement exercer ce pouvoir.

Le pouvoir sous forme de possession est exercé par les Églises sous deux formes: placement de capitaux pour leur richesse matérielle, exploitation de la faiblesse humaine pour distribuer les richesses dites spirituelles. Les Églises qui se disent spirituelles encouragent les riches; elles encouragent donc aussi les pauvres à rester pauvres.

Le riche qui décide de devenir pauvre et qui donne tous ses biens fait une action qui est égale à zéro, car elle n'est pas une action au vrai sens du mot, mais une réaction. La pauvreté pour lui n'est que l'opposé de la richesse, au sein d'un conflit qui n'est pas résolu,

Il est aussi faux croire que la richesse est un ma et la pauvreté une vertu qu'il est faux de croire l'inverse.

La richesse qui n'est que possession est négative. La pauvreté qui n'est qu'un manque de possession est aussi négative. La richesse et la pauvreté sont positives lorsqu'elles s'unissent dans la plénitude intérieure du détachement.

Lorsque la richesse et la pauvreté sont séparées de la possession elles acquièrent dans ce détachement un sens nouveau la pauvreté de l'avoir devient la richesse de l'être.

Les hommes ont élevés en eux-mêmes une double barrière à la Vérité, la richesse et la pauvreté. Mais la Vérité ne peut pas être trouvée au moyen de possessions spirituelles ou matérielles. Elle n'est pas le résultat de compensations dans ces deux domaines. Elle n'est riche ni pauvre d'aucune sorte de possessions. Toutes les discussions à ce sujet ne mènent à rien, et je ne voudrais pas trop m'y arrêter. Comment prendre pour critérium de vérité le confort et l'inconfort physique? Celui qui est vraiment simple n'est influencé ni par le confort ni par l'inconfort, parce qu'il possède la plénitude de la Vie.

J'ai dit que la vraie simplicité est la plénitude du détachement. Elle est à la fois la plénitude de l'amour détaché et impersonnel où ne subsiste plus la distinction sujet et objet, et la plénitude de la pensée concentrée jusqu'à l'extrême mais tout à fait souple, jamais rigide, toujours alertée à l'essentiel. Cet ensemble harmonieux de l'amour et de la pensée est la simplicité de l'intuition, qui est le .détachement.

Le détachement dont je parle ne se traduit pas par le contentement de vivre dans les conditions où l'on se trouve. L'homme qui se contente de tout n'est pas essentiellement différent de celui qui veut toujours changer je conditions extérieures parce qu'il ne trouve de paix nulle part. Ni l'un ni l'autre ne sont vraiment détachés. Ils continuent à être esclaves et complices des causes qui créent la civilisation où ils se trouvent. Ils contribuent à cette civilisation qui emprisonne l'homme.
 
 

Celui qui est parvenu au vrai détachement s'est donc d'abord délivré de son état d'esclavage, c'est-à-dire qu'il n'est plus esclave des causes qui à chaque instant créent une civilisation qui enchaînent les hommes. Et du fait qu'il s'est délivré, qu'il ne contribue plus à créer cette civilisation, il appartient au contraire à la vraie civilisation, dont le but est la délivrance de l'homme.

Dès lors, sa simplicité ne s'exprime pas par des réactions à l'intérieur de la civilisation dont il s'est détaché: il ne réagit pas contre telle où telle façon de s'habiller et de vivre en affirmant que la vérité consiste à s'habiller et à vivre autrement. Il ne peut prendre position à l'intérieur du jeu auquel il ne joue plus. Pour lui le jeu tout entier de cette civilisation est en dehors de ce qu'il considère comme étant l'ordre naturel qui convient aux hommes. Si les autres pensent pouvoir s'y adapter, lui, par contre, y est purement et simplement inadapté.

Certes, il utilise de cette civilisation ce dont il a physiquement besoin pour vivre selon un minimum qui ne comporte aucun désir personnel. Si les circonstances le placent dans des conditions où ce minimum lui est refusé, cela pourra l'affaiblir physiquement jusqu'à étouffer son expression, jusqu'à le tuer, mais cela ne changera pas sa nature ni la nature de son expression.

Dans une civilisation uniquement créée par des réactions qui enchaînent les hommes et les font souffrir, il est libre, donc il agit librement, d'une façon simple et naturelle. Non seulement il ne crée plus de souffrance, mais son action est positive parce qu'elle dégage l'essence des choses. Ceux qui souffrent parce qu'ils sont pris dans leurs irréalités peuvent boire à son eau pure. L'eau pure est là pour étancher leur soif. Mais s'ils la mêlent à de la boue ils ne pourront plus la boire.

Le vrai détachement est un bonheur qui n'a pas de qualités. Il ne consiste pas, seulement à être délivré de la richesse et de la pauvreté: cette délivrance n'est qu'un de ses aspects. Le détachement total est une solitude totale. Tant que l'on ne parvient pas à cette solitude la pensée et les émotions sont un fardeau. Dans la complète solitude, la pensée est pure, purement humaine, joyeuse, elle surgit de sa propre joie, de sa propre action, elle est normale enfin, car elle n'est pas provoquée par des réactions.

Avant ce détachement complet, la pensée, née de réactions, était une réflexion sur les altérations que subissait le "moi". Maintenant la pensée n'est plus une réflexion, elle porte sur l'essence, donc elle ne s'altère pas.

Personne ne peut nous dire si nous sommes détachés ou non. De même, nous ne pouvons pas juger les autres, mais nous-mêmes. Et, pour être nos propres juges, nous devons nous examiner avec la plus grande honnêteté. Tant que nous éprouvons la sensation d'être incomplets, tant que nous ne possédons pas la plénitude totale, nous ne sommes pas encore détachés.

La plénitude du détachement est le bonheur, qui est compréhension,.car il résulte de la totalité de l'expérience, et celle-ci contient l'essence de la vie. Si l'on comprend bien ce que j'entends par expérience, on verra que cette totalité est contenue dans chaque expérience particulière, à condition que celles-ci soit véritable.

Ce que j'entends par expérience n'est pas une connaissance intellectuelle qui s'acquiert par l'observation des choses et des rapports qui existent entre elles. Cette connaissance intellectuelle reste à la surface de notre être. Je parle de l'expérience de compréhension qui nous touche dans notre raison d'être, par la Joie ou la souffrance. Cette expérience met en contact un événement, mort, naissance, amour, et un équilibre provisoire de l'être, établi sur des bases irréelles. Il y a expérience quand cet équilibre artificiel est détruit.

L'équilibre incertain et irréel qui est ainsi secoué par l'expérience, est construit par la peur et l'espoir qu'éprouve le "je" de se sentir incomplet. Sa peur et son espoir sont frappés par les expériences de la mort et de l'amour, leur édifice tombe et l'homme, dans ce vide, éprouve de nouveau le sentiment qu'il est incomplet. Si pour apaiser ce sentiment il reconstruit un nouvel édifice illusoire sur sa peur et son espoir, il n'utilise pas l'expérience, il refuse ce qu'elle lui a offert, et se met dans la nécessité de la recommencer.

Mais s'il comprend que cette expérience lui offre la possibilité d'aller jusqu'au bout de cette rupture d'équilibre, jusqu'à la base de sa raison d'être, il s'en servira pour aller chercher les causes de sa peur et de son espoir, et pour les éliminer. Une fois ces causes éliminées, il ne construira plus sur elles l'équilibre artificiel qui appelle l'expérience afin de se faire détruire, il ne construira plus rien, il sera établi dans la Vérité. Ainsi une seule expérience lui aura apporté la totalité de l'expérience. L'incertitude et le sentiment qu'il avait d'être incomplet l'ont conduit à la plénitude positive qui a dépassé toute expérience.

C'est cela le vrai détachement. C'est une sérénité qui s'exprime par l'action pure et impersonnelle, et dont le but ne dépend ni du temps ni de l'espace.

L'homme incomplet, poussé par sa peur et son espoir, passe d'un but illusoire à l'autre. Il cherche des appuis, il veut se faire guider et consoler, il veut trouver le bonheur en s'abritant dans des illusions, des Églises, des autorités. Mais s'il veut posséder la plénitude intérieure positive, il doit placer son but en dehors du temps et de l'espace. Ce but lui servira de point de repère et de moyen. Il ne doit pas en faire une spéculation de l'esprit, mais son être tout entier doit y participer.

De même que l'essence d'une goutte d'eau est l'essence de toute eau, la vie en chacun est l'essence de la vie.

Se comprendre soi-même dans sa propre essence c'est comprendre la totalité, ou le "je" a disparu. L'expérience était le contact d'une illusion (le "je") et de la réalité (la Vie). Maintenant le "je" n'existe plus en aucune façon, ni subtile ni amplifié, il ne reste plus que la vie, on ne peut plus parler d'expérience.

Le "je" appartient au temps et à l'espace. La vérité, qui est la Vie, en est complètement indépendante: elle est immortelle. Pourtant les hommes veulent la chercher à travers leur" je", à travers le temps et l'espace, et l'exprimer par des formes.

La sincérité de l'homme qui possède la plénitude de la Vie ne ressemble à aucune autre, car ce qu'on appelle habituellement sincérité est une sincérité vis-à-vis de soi-même, de ce "je" créé par l'illusion, conditionné par le temps et l'espace, dominé par les circonstances. La vraie sincérité consiste à chasser hors de l'homme tout ce qui appartient au temps, à l'espace, au moi. Cette élimination n'est donc pas faite par le "je", mais par l'Éternité qui opère dans l'homme.

Ainsi le moi ne peut pas aller au devant de l'Éternité dans l'espoir de s'en emparer, il ne la trouvera jamais. Les religions qui incitent les hommes à trouver la vérité, en leur promettant comme récompense la Vie éternelle, ou en les menaçant d'une punition, sont créées par le "je" qui veut durer, qui a peur et qui espère, et n'ont donc aucun rapport avec la vérité.

L'Éternité travaille dans l'homme afin de briser en lui les murs du moi. Quand ces murs sont tombés, la Vérité est là. La résistance que le "je" oppose à ce travail de l'Éternité dans l'homme, les hommes l'appellent souffrance.

Pour calmer cette souffrance, ils pensent devoir accumuler des acquisitions et des expériences, car ils pensent que le moi doit évoluer, progresser, s'enrichir. Ils doivent au contraire devenir pleinement conscients et comprendre que la résistance que le moi oppose à l'Éternité peut cesser à n'importe quel moment. Il lui suffit de dégager d'une seule expérience, ainsi que je l'ai dit, la totalité de la compréhension qu'elle peut lui donner.

Puisque chaque expérience contient la totalité de l'expérience, elle n'est à proprement parler qu'un aspect d'une seule et unique expérience qu'il convient de faire jusqu'au bout. Il est donc tout à fait inutile de répéter indéfiniment des détails particuliers de cette expérience unique. Si, au lieu d'épuiser un détail, nous lui résistons, nous résisterons aussi bien à d'autres expériences, et en les accumulant nous ne ferons que perdre du temps dans une souffrance inutile, et dans l'illusion d'une évolution. Donc, une seule expérience doit pouvoir suffire.
 
 

J'ai dit que la souffrance est la résistance qu'oppose le "je" à l'Éternité. Mais il n'y a de vraie souffrance que lorsque le "je" connaît son but et qu'il ne peut pas s'empêcher de lui résister. La vraie souffrance est de tomber dans une erreur en sachant que c'est une erreur.

Celui qui prend toutes ces illusions pour des vérités est inconscient de son erreur et ne connaît pas la véritable souffrance qui conduit à la libération. Il souffre comme peut souffrir un enfant qui pleure son jouet cassé. Cette souffrance stérile de l'homme qui ne connaît pas son but fait indéfiniment tourner la roue de l'existence. L'homme n'y est même pas ignorant, il y est inconscient.

A ce stade d'inconscience, l'interminable succession d'efforts stériles que font les hommes est ce qu'ils appellent le renoncement et le sacrifice.

Lorsque le réel commence déjà à se mêler à l'illusion, la conscience s'éveille et cherche à discerner ce qui est réel de ce qui est illusoire. C'est la période de l'ignorance, où l'homme cherche la connaissance en faisant un choix. Il discerne ce qui est réalité et ce qui est illusion, et l'effort qu'il fait pour choisir, l'effort qu'il fait pour résister à ce qui n'est pas essentiel est la vraie souffrance. Dans cette souffrance qui le conduit à sa délivrance, il n'y a déjà plus de place pour la notion de sacrifice.

Enfin, le réel s'épanouit dans l'homme et celui-ci n est plus attiré par ce qui n'est pas essentiel. L'Éternité a achevé son travail en lui, la lutte a cessé, il est libéré.

L'épanouissement de cette connaissance met fin aux actions qui enchaînent l'homme, car ces actions émanaient du "je". Le "je" s'oppose toujours au réel, il est donc négatif, et ses actions ne sont en réalité que des réactions négatives.

J'ai déjà dit que le "je" .ne peut pas progresser: Il peut se dissoudre dans l'Éternité. Cette dissolution est un état dynamique; elle n'es pas de l'indifférence. Au cours de sa lutte, le "je" peut éprouver la plus grande indifférence pour tour ce qui l'entoure et pour lui-même. Cette indifférence est l'opposé de la plénitude, car elle est faite du sentiment que tout est incomplet, que rien ne peut être complet.

Lorsque le "je" se trouve dans un état statique, dont il devra sortir un jour, deux possibilités s'ouvrent à lui: il peut chercher à dominer cet état et, dans ce cas, toute la série de ses expériences est à recommencer car il n'en a pas tiré sa leçon ou l'homme peut comprendre que ce qui est incomplet n'appartient qu'au "je", et alors il se débarrasse de lui. L'homme qui s'est débarrassé de son "je" est délivré même de la conscience, il est la plénitude de l'action pure. Cette plénitude et cette pureté sont inaltérables, elles ne dépendent plus ni de circonstances extérieures, ni d'états intérieurs, conscients au inconscients, individuels ou collectifs (groupes, classes, groupements religieux). L'action pure n'est pas altérée par ce qui appartient au temps et à l'espace.

Tout ce qui appartient au temps à l'espace est une limitation. Par exemple, l'amour personnel fait souffrir parce qu'il cherche à briser les limitations dans lesquelles il est enfermé. Au lieu de facilité cette tâche à l'amour, 1'homme lutte contre lui. Il resserre ses limitations en croyant ainsi se garantir contre la souffrance. Son sens possessif érige contre l'amour de véritables murailles: on les appelle loyauté, fidélité, don de soi.

La souffrance dans l'amour provient de cette fausse conception que l'on a de l'amour. On veut l'enfermer dans des limites individuelles, et pour ne pas souffrir on se cramponne à la cause même qui crée la souffrance.

L'homme qui aime à l'intérieur de toutes les limitations construites par le "je" cherche à chaque instant à ajuster son amour à ces limitations. Sa jalousie, son désir, toutes ses actions, ses pensées, ses émotions s'efforcent, dans ce travail d'ajustement, d'adapter son amour à une illusion, de le maintenir dans les limites de son cercle.

Puisque cette adaptation veut se baser sur une illusion, elle est absolument illusoire. Tout ce travail est stérile et ne fera pas comprendre la cause de la souffrance. A l'intérieur du cercle tracé par le "je", l'homme souffre et lutte pour établir un lien permanent entre deux éléments opposés et irréductibles créés par ce cercle. Il se débat dans les dualités de l'amour et de la jalousie, de 1'amour, et de la haine, de l'objet et du sujet, de la peur et de l'espoir. Tout ce qu'il appelle amour n'existe que dans ce cercle. Le véritable amour, qui est en dehors de ces limitations, lui semble inhumain; tandis qu'il est le seul amour vraiment humain.

L'amour véritable, vu par le "je" de l'intérieur de son cercle, semble cruel car le "je" ne comprend la compassion que comme un secours qui viendrait dans ses propres limites le réconforter. La Vérité vue de l'intérieur de ce cercle paraît si monstrueuse et inaccessible que l'on ne veut même pas croire à son existence.

L'homme ne veut pas quitter le cercle. Il croit que faire des efforts d'ajustement c'est vivre et faire des progrès. Progresser veut dire pour lui multiplier : multiplier les objets de ses désirs et de ses amours ou multiplier ses propres désirs en agrandissant et en renforçant son moi. Mais toutes ces multiplications ne sont que des divisions, car la nature du "je" est d'être isolée, dont il ne peut que séparer et diviser. Dans son cercle le détachement est impossible, on ne peut arriver qu'à l'indifférence.

Lorsque, martyrisé par la souffrance, l'homme se décide à briser le cercle, il découvre ce que j'ai appelé l'action pure; qui n'émane pas de son moi et qui, par conséquent, ne dépend pas non plus des autres "je". Donc, cette action n'établit pas un rapport entre un "je" et un autre "je", ni même un rapport entre un point de vue personnel et des "je" : elle n'établit pas de rapports, elle est. Elle est la plénitude de l'amour détaché, qui est la Vie. Elle est au-delà de la séparation et au-delà de l'unité. En elle les qualités ont disparu car elle n'est pas conditionnée ni par l'espace ni par le temps, elle est l'épanouissement de l'Éternité.

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La Vérité est un pays sans chemin. (Krishnamurti)
 
L'homme et le moi par Krishnamurti - 3e millenaire
  In response to the question, here is a text entitled "The Man and the Self", on notes taken during lectures and talks made by J. Krishnamurti in France in 1930 by Carlo Suares.

MAN AND ME

------------------------- I ------------------------

There is a tendency in the West to think that what I am saying relates only to the Hindu tradition and does not apply to races of Western traditions. In India, on the contrary, one tends to think that I am exposing a Western philosophy. If one judges me in such different ways, it proves that Truth is neither Western nor Eastern.

In India one commonly imagines that one who reaches Knowledge must wear the sannyasin's orange robe, become a wandering beggar, and despise the physical body. In Europe, other prejudices take the place of that one. But these prejudices are limitations, and one can not imitate the truth. Human nature is everywhere the same, in all climates, and Truth is everywhere the same, it can not be contained within borders, nor belong to races, dogmas, or churches. Everyone can discover it by using their critical sense intelligently. What I call intelligence is the balance between thought and emotion; the critical sense is the discernment that allows us to choose what is essential and reject what is not.

I am well aware of the indifference, the majority of men with regard to the Truth: they. ignore until its existence. They are like prisoners who would be born in their prison and who do not know that she has an exit, but who suffer it causes of their imprisonment.

Truth, which is Life, bears no limitation. To discover it, we must liberate ourselves; and to liberate ourselves, we must be driven, by the desire to understand, to find the cause of our limitations. The certainty we reach then is the result of our own struggles, our understanding, our doubt. This certainty, no one can give it to us.

Doubt and the desire to find absolute Truth are the two stimulants to be awakened in men. What usually stimulates them is the fear and hope that come from, their limitations and who. lead them to seek consolation. This need to be comforted can not bring them to discover. the truth. Those who are comforted and consoled have not discovered the cause of their suffering, they have not come out of prison. They found a relaxation. passenger by changing position. To seek to be consoled is tantamount to stagnation, a betrayal of Truth. Truth does not comfort, we can not capture it like an electric current, reduce it in a transformer, and use it for our comfort. His great light can not be dimmed.

Here is a Hindu story. Once, in the spring, all the butterflies in the valley met in the cool shade of a tree. They talked about the light; some said what others denied, until a butterfly declared itself ready to go and find out what the light really was. All patiently waited for his return. When the butterfly returned, he told them that the light was far too strong for anyone to approach. But the others were not satisfied with this answer, and they wanted to know more. Another butterfly set off and communicated to them on his return that he had not been able to approach the light as it was so powerful and blinding. This statement was not found sufficient either and a third butterfly flew to the same goal. Wounded, he told them on his return that the light was so hot that it had burned him. And after him a fourth left, but not to return. Truth, which is Light, had consumed it.

Thus, in their suffering, men prefer to wait for the Truth to be brought to them rather than to seek it.

But even among those who leave, most seek not Truth but consolation. Consolation does not contain Life in its fulfillment, for instead of making men understand the causes of their suffering, they belittle the Truth, they reduce it by creating religious beliefs and dogmas. Life, which is Truth, can only be fulfilled through experiences that do not reduce it.

Men, because they find happiness nowhere, wander from one cage to another and continue to suffer. Yet they must get rid of all their cages.

Good and generous souls, driven by the desire to relieve human misery, are making the innumerable existing prisons more attractive. They believe that by improving the conditions of existence they will make men better and happier. They forget that a model prison is always a prison.

It is obvious that the conditions of existence should be better for everyone, but they should not be made to depend on charity. They must be created by both the technique and the understanding of Life. An excellent technique that develops at the expense of the meaning of life is ineffective; on the contrary, it must be guided by the direction of life developed to its maximum. I do not want to decorate old cages. I do not even want to demolish them. For even if all the men's prisons were demolished, they would rebuild others and decorate the walls. Everyone must learn to deliver themselves. My goal is to create in men the desire that would break all the cages, and to awaken the will in them to discover Truth, true happiness.

In their search from one prison to another, men base their lives on a hope always deceived. Hope is a betrayal of Truth, for by fixing man in expectation of the future, he weakens and distances him from the present.

A paradise promised in the future does not even contain the shadow of Truth, Truth is totally absent. Insofar as one bases one's research on the hope of finding consolation, balms to heal wounds, one moves further and further away from the realm of happiness, where the eternal Truth is found. This one needs no prayer, no adoration, no religion, no rites. She is absolute. And through the total lucidity that everyone, if he strives, can have his own daily actions, his thoughts and emotions, everyone can discover. Each person, concentrating all his consciousness on his own daily actions, can discern among them those who express life, and those on the other hand that lead to inaction or who are already inactive.

Inactive actions are those by which one seeks to distract oneself from successions of futile hobbies. These actions focus only on what is not essential, and thus create a negative suffering that we do not know how to get out. In this negative state, everything we do goes on. Love does not even respect its own object, which it serves for pleasure.

The actions that lead to inaction are those in which the essential and the non-essential are mixed. They are determined by passion, by the violent desire of the "I" to last, to grow, to acquire qualities. Although these actions lead to an inactive state, they are still creative because they provoke a real, positive suffering, by which the man can find an exit: if he risks to be linked, he can also get rid by becoming more and more aware of his purpose. Here love distinguishes the subject from the object and takes both into consideration.

Finally, the actions that express life are those that are not born of the sense of self, those that do not come from the desire for the "I" to last and to grow, those where the consciousness leads to the individual. has disappeared: those who express only the essential. One must not consider the essential action from the point of view of qualities, as one can do for the other actions. It is not necessary to try to attribute qualities to it, it does not have any, it is a perfect harmony. This action is therefore neither an action nor an inaction, for the conflict of action and inaction came from qualities.

The essential action is essentially simple. Although it may appear negative when it is to be considered in relation to subjects and objects, it is, on the contrary, essentially positive; in her there is neither object nor subject, but love, which is the essence of all things. It is pure action, where consciousness is liberated.

But rather than freeing the fruit of every gesture to the end, men, in their desire to be happy, try everything. In turn, they give up what disappoints them and, limited by the mediocrity of their ambitions, pass from one satisfaction to another.

First, they believe they discover happiness in the possession of material goods and gross pleasures. If they do not find the happiness they seek, they turn their refined desires toward so-called spiritual goods. They hope to find them in a world they believe to be real, but that is only artificial, created by hope and their own fantasy. In this world devoid of reality, there are beliefs of all kinds, occultism and mysticism.

Harassed by suffering, the man who seeks the truth falls into a last trap. He learned that any outside support, anything that relies on authority can not bring him to his goal. He stands out resolutely from all objects, and withdraws to his inner being where he hopes to discover the truth. There, the ultimate disappointment lurks, because in this subtle prison he will meet the "I", the sense of self that is opposed to other people, the individuality tainted with qualities that make it distinct.

The "I" depends on time and space; therefore, he develops qualities that belong to time and space. The battle becomes inevitable between the individual and the Truth.

What I mean by individual is not a human unit considered in relation to the species. There is much talk of the individual in his dealings with the community, simply opposing the number one of the elements that make up that number. A man considered as a unit, as one does for an object, for a bird or for a tree, is not an individual in the sense that I lend to that word. For me, it is only the man who has discovered his uniqueness, the man who has become totally self-conscious.

To avoid new ones. misunderstandings, I will point out that uniqueness, as I understand it, is not a quality of originality, but indicates the particular process in which each man reaches the truth, the proper way of reaching his fulfillment.

We have left the man who seeks the truth in his last stage. Having detached himself from everything, having turned away from all support, from all authority, he nevertheless kept the hope of discovering the truth in him. But the "I", the "I", the "Ego", in its exclusion, does not contain the truth, and disappoints its last hope. It may then be that, completely discouraged, man detaches himself from everything, has no faith in anything, and abandons himself to indifference. He enters the world of death, into the world of nothingness.

At one point he had known the ecstasy of wealth, power, success. Then he was drunk with the inner ecstasy to finally arrive at this ecstasy of nothingness. Now that he is stripped of everything, that he has got rid of all the shackles, that he has abandoned the cages, that he no longer leans on any authority, that he does not seek consolation or hope ,. it remains for him to make a last effort to meet the truth that will consume his being. He is finally ready to discover the reality that contains negation and affirmation, that absolute that does not know the degrees of perfection, which is pure being, Life and Truth. The critical moment has arrived which will determine either the triumph of Truth or the relapse of man into the ego, that is to say, the need to repeat the experience of which he did not learn. lesson.

While he was traveling along his long road, the man was like a rudderless boat driven by the current of a river. Driven by the waves, he took his involuntary movement for a movement of his will and the setbacks provoked by his reactions for a philosophical detachment. But true detachment consists in discerning what is essential from what is not, and in choosing the essential. This choice is opposed to the idea that detachment usually makes: it is thought that it consists in eliminating what is illusory. This elimination is a negative act. If instead of eliminating what is not essential we strive to grasp what is essential, we stand out but in a positive way.

Indeed, the discovery of what is illusory can lead to the conclusion that everything is illusion, Maya. This conclusion is not correct. Objects are real, as are emotions and thoughts. It is their assemblage that constitutes an unreal world where yet we must discover the Truth. .

For the ignorant, reality is constituted by this assemblage of an external world with its own inner world, and by the reactions that result from it. When he believes he is acting freely, his actions are determined by causes he does not know, when he thinks he is positive, he only reacts to external contacts. The result of all his reactions is what is called a civilization. Yet the function of a true civilization is to help man to achieve pure action. If, as we observe in our time, civilization does not succeed in this, it is not a true civilization. In order to find the Truth, we must update the reactions that produce it, and in this unreality discover the real and seize it. This is how we can reject a false civilization; while renunciation would still be part of it.

To realize that we are passive, that we act automatically, is to begin to work consciously on ourselves. But to know if we are motionless or moving, we must establish a landmark. This landmark is pure action, that is, the very purpose that man must attain. To affirm this goal, to keep it present, is to use it as a means of achieving it. Without it, we are dominated by a negation that leads us to complete indifference.

Yet man can not live in indifference. Life in him does not tolerate this static state and forces him to leap forward or, on the contrary, to fall back to begin suffering again. If it falls, it can often be brought back to the dead point of indifference and fall again. It must break this dead point, definitely exceed this state of indifference, and go beyond, towards a state of dynamic equilibrium, where he will know the pure action and the pure creation. As long as man has not arrived at pure action, all he takes for his creation is only a passive activity sometimes enlightened by a feeble creative reflection. His poetry, his music, his painting, his architecture, all his arts are still an activity and not a free creation. What matters is to possess the art of living which is the only real creation, the only positive art.

When the man in the prison of the negation arrives at the wall which, erected by his sense of self, separates him from reality, he must still perform the act which will definitively free him. Below this wall, the meaning of the "I", the "I", is constantly growing to culminate in the full development of self-consciousness. This self-consciousness is not yet the liberation of consciousness because, linked to reactions, it relies on the subconscious and the unconscious, whereas in the liberation of consciousness there is no longer any subconsciousness. neither unconsciousness nor consciousness.

The wall of separation prevents man from seeing the truth. Man must make him disappear, and this elimination constitutes the positive act that frees him. Life is on the other side of the wall, but in reality the wall does not exist: it is the illusion of division, the sense of self that imprisons, and it is he who is to make disappear. Where the "I" no longer exists, there is no room for fear, and it is then that the man knows the detachment.

The fear he had of suffering and disillusionment had only led him to indifference. But indifference is a false detachment. True detachment is love itself without object or subject.

Man freed from his limitations of fear, of the "I" with all his qualities, finally reaches the knowledge. '\

During a first stage, man seeks in the world of. relating the encyclopedic knowledge of the objects and relationships that exist in them. Then he seeks to know himself, and this knowledge gradually brings him to be aware of his limitations, until, fully in possession of all his consciousness, he reaches the knowledge of the Lord. This is not an amplification of self-knowledge, for having exceeded all consciousness, it knows no more separation and unity. It is the illumination that gives each thing its true value.

From his first vision of Truth, man begins to eliminate his "I" until he sees the possibility of leaving his last prison. He then completely gets rid of the "I" and frees himself from the great illusion of separation. From then on, he is free, he is finally a man.

For me, the superman does not exist. He is generally understood as a being endowed with qualities and exalted virtues. But the liberated man has no qualities, because these belong to the "I" of which the man has stripped himself .

The Ego developed in the extreme is called superman or God; but since the "I" is a limitation, therefore an imperfection, how would it become (even disproportionately enlarged) perfect or unlimited? When the "I" has disappeared, man reaches perfection and becomes like a Christ, a Buddha, that is to say, a man: "Man" then takes on its own meaning, man is the to be who has no ego. In him all the limitations (his qualities) have disappeared. Perfection does not involve degrees, for the ego, to which only the qualities apply, no longer exists.

To realize the truth, it is not necessary to consider it from the point of view of the relative. The relative still belongs to the ego, when the ego disappears the relative gives way to the absolute. Every pure act, that is to say any act stripped of the "I", reveals the Truth, but it can proceed only from a being conscious of perfection.

Man, since his birth, has been enriched by all his experiences. He first experienced a vegetative, unconscious perfection, then the imperfection, which from unconscious became later conscious. It now comes to a simplicity that is in no way primitive, but appears on the contrary as a rich and perfect synthesis, a work of art where no line can be suppressed.

If he has not yet achieved perfection, he may nevertheless have it already in mind as a goal to achieve. The act that he performs in order to achieve this goal, so that it is useful, must be conscious and deliberate. Man must act from personal experience. It is his experience that shows him that the ego has a purpose, and that drives him to act by freely choosing the acts that will lead him to that goal. If this choice requires an effort, it can still, although imperfect, have a price, because it is done freely, while the effort that comes from the desire that one has to comply with the ideal of another has no value.

When the effort ceases, the act becomes spontaneous, the perfection of the pure action is realized. Virtue with effort is not a virtue.

Every liberated man reaches Truth, like a Christ or a Buddha. Christ and Buddha are names given to men who have attained Truth; they are not the names of the truth itself. Thus those who attach themselves to these names or to the men who bear these names do not find immortality, but those who find it are those who cling to Truth.

To be immortal one must not want to preserve one's individuality or uniqueness, one must not either want to enlarge one's "I", or want to immortalize it in a God. On the contrary. Man must aspire to lose the sense of the "I", the "I", which hides the Truth from him and prevents him from reaching her. Truth does not depend on time being broken down into past, present and future. It is the moment, elusive and yet so real, of the "now" outside the duration. It is where there is no "I".

A small tender leaf in the palm of our hand contains eternity if we know how to look at it outside the "I" and can make us discover the essence of all that contains the Truth.

Why put your hope in the future? Why scrutinize the past? The past, the present, the future are unreal, the man who relies on time is taken by his lie. It is important to live in the eternal "Now", where the concentrated man, stretched out in perfect equilibrium, is the Truth. Truth leaves people indifferent because they do not know that without it they can not be happy. They seek happiness out of the truth, and that is why happiness flees them.

It is essential that one does not take what I say for a speculation of the mind. The truth I am talking about is the result of my experience. I live it fully and constantly, it exists in each and every thing, and without its realization happiness does not exist.

This completion, this accomplishment is not reserved for a small elite of insiders or supermen. Truth is not the prerogative of any center, it is not owned by an association, an institution, a church, an academy. It can be achieved by everyone, those who want to achieve it must themselves seek it.

------------------------- II ------------------------

True simplicity is not inner poverty but comes from the richness of experience. The poverty of experience is only a false simplicity, which on the contrary creates all the complications of existence.

There is an apparent wealth of experience that comes from their great multiplication, and there is an apparent material wealth that comes from a great multiplication of material objects. These riches, which for some seem positive and others negative, are neither positive nor negative: they are nil if we do not know how to draw the whole lesson they contain and to identify the essence.

Likewise, there is an apparent poverty of experience and apparent material poverty. These, far from multiplying, try to reduce, and in turn seem negative to some and positive to others. But they are negative or positive only according to the lesson that we know how to draw from them.

Wealth and poverty are not a question of quantity. One experience can suffice to understand the whole truth, if by it one knows how to free oneself: Truth is the liberation of all experience. A single possession can suffice to free itself from both the problem of possessing and of not possessing, since one can, by the fact that one possesses only a single object, disengage the full meaning of possession in general. . It is enough to examine one's desire impersonally and with great attention. This desire is the same, no matter how many objects one possesses.

There was once in the Indies a sannyasin, a religious dedicated to poverty, who went to find a king renowned for his wisdom. This sannyasin possessed, for all terrestrial goods, two loincloths. One day, while he was conversing with the king in the shade of a tree, the sumptuous royal palace caught fire. Without even turning his head, the king continued the interview, while the sannyasin, worried and distracted, did not lose sight of the fire ... for near the palace he had spread his second loincloth ...

The desire to be rich and the desire to be poor are both based on fear. We are afraid of not having enough or, on the contrary, we are afraid of having too much. At the base of the purest asceticism, we discover the fear of the world: if the world is considered an illusion, Maya, we are afraid to be caught by the possessions that also appear as illusions, and if the world is assimilated to evil, possessions become temptations to flee.

But this escape caused by fear and lassitude is not the true abandonment of the world. The mondi is real. Everything is real. What is unreal, what should be abandoned is not the world, it is the false values ??that are attributed to things. In this sense, to detach oneself, to renounce oneself, means to discern in the unreality of these false values ??what is real, and to seize it. To really give up is not to reject the world but to understand it. To be detached is not to feel the desire to possess, nor the desire not to possess. It is no longer to covet possessions, nor to despise those who possess. It is no longer to be jealous of the wealth of others or their poverty. When we stop thinking that wealth or poverty are privileges, our conduct, based solely on the harmony of our complete detachment, no longer leads us to approach the rich or the poor from a particular point of view. We no longer establish relations between ourselves and others, according to which we treat them in this or that way; but we express the impersonal and pure action which does not involve relations or situations between individuals, because it is a plenitude by itself.

When wealth and poverty cease to seduce us, we stop attributing to them a human meaning. Indeed, they are external to man.

It is a great illusion to want to be rich to do good by helping others, or to justify one's wealth by charity. The wrong done in amassing wealth can not be repaired by any charity. Money being a form of power, helping others is simply exercising that power.

Power in the form of possession is exercised by the churches in two forms: investment of capital for their material wealth, exploitation of human weakness to distribute so-called spiritual riches. Churches that call themselves spiritual encourage the rich; they also encourage the poor to stay poor.

The rich man who decides to become poor and gives all his goods does an action that is zero, because it is not an action in the true sense of the word, but a reaction. Poverty for him is only the opposite of wealth, in an unresolved conflict,

It is also false to believe that wealth is an asset and poverty a virtue that is false to believe the opposite.

The wealth that is only possession is negative. Poverty which is only a lack of possession is also negative. Wealth and poverty are positive when they unite in the inner fullness of detachment.

When wealth and poverty are separated from possession they acquire in this detachment a new meaning, the poverty of having becomes the wealth of being.

Men have raised in themselves a double barrier to Truth, wealth and poverty. But Truth can not be found by means of spiritual or material possessions. It is not the result of compensation in these two areas. It is neither rich nor poor of any kind of possessions. All the discussions on this subject lead to nothing, and I do not want to stop there. How to take for truth criterion comfort and physical discomfort? The one who is really simple is not influenced by comfort or discomfort because he has the fullness of life.

I said that true simplicity is the fullness of detachment. It is at once the fullness of detached and impersonal love where the distinction between subject and object no longer subsists, and the fullness of thought concentrated to the extreme but quite flexible, never rigid, always alerted to the 'essential. This harmonious whole of love and thought is the simplicity of intuition, which is the detachment.

The detachment of which I speak does not translate into the satisfaction of living in the conditions in which one finds oneself. The man who is satisfied with everything is not essentially different from the one who always wants to change the external conditions because he does not find peace anywhere. Neither are really detached. They continue to be slaves and accomplices of the causes that create the civilization where they are. They contribute to this civilization that imprisons man.

He who has arrived at the true detachment has therefore at first freed himself from his state of slavery, that is to say, he is no longer a slave to the causes which at every moment create a civilization which binds men together. . And because he has freed himself, that he no longer contributes to the creation of this civilization, he belongs on the contrary to true civilization, the object of which is the deliverance of man.

From then on, his simplicity is not expressed by reactions within the civilization from which he has detached himself: he does not react against such and such a way of dressing and living by affirming that the truth consists in dress and live differently. He can not take a position inside the game he does not play anymore. For him the whole game of this civilization is outside what he considers to be the natural order that suits men. If the others think to be able to adapt to it, it, on the other hand, is purely and simply unsuited to it.

Of course, he uses from this civilization what he physically needs to live to a minimum that does not involve any personal desire. If the circumstances place him in conditions where this minimum is denied him, it may weaken him physically until he stifles his expression, even to the point of killing him, but that will not change his nature or the nature of his expression.

In a civilization uniquely created by reactions that chained men and made them suffer, he was free, so he acted freely, in a simple and natural way. Not only does it no longer cause suffering, but its action is positive because it releases the essence of things. Those who suffer because they are caught in their unrealities can drink with its pure water. Pure water is there to quench their thirst. But if they mix it with mud they will not be able to drink it anymore.

Real detachment is a happiness that has no qualities. It does not consist only in being delivered from wealth and poverty: this deliverance is only one of its aspects. Total detachment is total loneliness. As long as one does not reach this loneliness thought and emotions are a burden. In complete solitude, thought is pure, purely human, joyous, it arises from its own joy, its own action, it is finally normal, because it is not provoked by reactions.

Before this complete detachment, thought, born of reactions, was a reflection on the alterations that the "me" was undergoing. Now thought is no longer a reflection, it is about essence, so it does not change.

Nobody can tell us if we are detached or not. Likewise, we can not judge others, but ourselves. And, to be our own judges, we must examine ourselves with the utmost honesty. As long as we feel incomplete, as long as we do not have fullness, we are not yet detached.

The fullness of detachment is happiness, which is understanding, because it results from the totality of experience, and it contains the essence of life. If one understands what I mean by experience, one will see that this totality is contained in each particular experience, provided that it is true.

What I mean by experience is not an intellectual knowledge acquired through the observation of things and the relationships that exist between them. This intellectual knowledge remains on the surface of our being. I speak of the experience of understanding that touches us in our reason for being, by Joy or suffering. This experience brings into contact an event, death, birth, love, and a temporary balance of being, established on unreal bases. There is experience when this artificial balance is destroyed.

The uncertain and unreal equilibrium that is shaken by experience is built by the fear and hope that the "I" feels of being incomplete. His fear and hope are struck by the experiences of death and love, their edifice falls, and the man, in this emptiness, feels again that he is incomplete. If, to appease this feeling, he reconstructs a new illusory edifice about his fear and his hope, he does not use experience, he refuses what she has offered him, and puts himself in the necessity of starting it over again.

But if he understands that this experience offers him the possibility of going to the end of this break in balance, to the very basis of his raison d'jtre, he will use it to find the causes of his fear and hope, and to eliminate them. Once these causes are eliminated, he will no longer build on them the artificial equilibrium that calls experience to be destroyed, he will not build anything, he will be established in the Truth. So only one experience will have brought him the whole experience. The uncertainty and the feeling that he had to be incomplete led him to the positive fullness that exceeded all experience.

This is the true detachment. It is a serenity that expresses itself through pure and impersonal action,and whose purpose does not depend on time or space.

The incomplete man, driven by his fear and hope, passes from one illusory goal to another. He seeks support, he wants to be guided and comforted, he wants to find happiness by sheltering in illusions, churches, authorities. But if he wants to possess positive inner fullness, he must place his goal outside time and space. This goal will serve as a point of reference and means. He must not make a speculation of the mind, but his whole being must participate in it.

Just as the essence of a drop of water is the essence of all water, life in each is the essence of life.

To understand oneself in one's own essence is to understand the totality, or the "I" has disappeared. Experience was the contact of an illusion (the "I") and reality (Life). Now the "I" no longer exists in any way, neither subtle nor amplified, there is only life left, we can not speak of experience anymore.

The "I" belongs to time and space. The truth, which is Life, is completely independent of it: it is immortal. Yet men want to search through their "I", through time and space, and express it through forms.

The sincerity of the man who possesses the fullness of life is unlike any other, for what is usually called sincerity is sincerity with regard to oneself, this "I" created by illusion conditioned by time and space, dominated by circumstances. True sincerity consists in driving out of man all that belongs to time, space, self. This elimination is not made by the "I", but by the Eternity that operates in man.

Thus the self can not go to the face of Eternity in the hope of seizing it, it will never find it. Religions that incite men to find the truth, by promising them eternal life, or by threatening them with punishment, are created by the "I" who wants to last, who is afraid and who hopes, and does not have nothing to do with the truth.

Eternity works in man in order to break within him the walls of the ego. When these walls have fallen, the Truth is there. The resistance that the "I" opposes to this work of Eternity in the man, the men call it suffering.

To calm this suffering, they think they should accumulate acquisitions and experiences, because they think that the self must evolve, progress, enrich itself. On the contrary, they must become fully aware and understand that the resistance that the self opposes to Eternity can cease at any time. It suffices for him to deduce from a single experience, as I have said, the totality of the understanding that it can give him.

Since each experience contains the totality of the experience, it is properly speaking only one aspect of a single experience that must be done to the end. It is therefore quite useless to repeat indefinitely particular details of this unique experience. If, instead of exhausting a detail, we resist it, we will resist other experiences as well, and by accumulating them we will only waste time in useless suffering, and in the illusion of evolution. So, only one experiment should be enough.

I said that suffering is the resistance that the "I" opposes to Eternity. But there is real suffering only when the "I" knows his purpose and he can not help but resist it. The real suffering is to fall into a mistake knowing that it is a mistake.

He who takes all these illusions for truths is unaware of his error and does not know the real suffering that leads to liberation. He suffers as can suffer a child who cries his broken toy. This sterile suffering of the man who does not know his purpose indefinitely turns the wheel of existence. The man is not even ignorant, he is unconscious.

At this stage of unconsciousness, the interminable succession of sterile efforts that men make is what they call renunciation and sacrifice.

When reality begins to mingle with illusion, consciousness awakens and seeks to discern what is real from what is illusory. It is the period of ignorance, where man seeks knowledge by making a choice. He discerns what is reality and what is illusion, and the effort he makes to choose, the effort he makes to resist what is not essential is true suffering. In this suffering that leads him to his deliverance, there is already no room for the notion of sacrifice.

Finally, reality blossoms in man and he is no longer attracted by what is not essential. Eternity has completed its work in him, the struggle has ceased, he is liberated.

The fulfillment of this knowledge puts an end to the actions that bind the man, because these actions emanated from the "I". The "I" always opposes the real, so it is negative, and its actions are really only negative reactions.

I have already said that the "I" can not progress: It can dissolve in Eternity. This dissolution is a dynamic state; she is not indifference. In the course of his struggle, the "I" can experience the greatest indifference to what surrounds him and to himself. This indifference is the opposite of plenitude, because it is made of the feeling that everything is incomplete, that nothing can be complete.

When the "I" is in a static state, from which he will have to go out one day, two possibilities open up to him: he can seek to dominate this state and, in this case, the whole series of his experiments is to start again because he has not learned his lesson or man can understand that what is incomplete belongs only to the "I", and then he gets rid of him. The man who has got rid of his "I" is delivered even from consciousness, he is the fullness of pure action. This fullness and purity are unalterable, they no longer depend on external circumstances or inner states, conscious or unconscious, individual or collective (groups, classes, religious groups). Pure action is not altered by what belongs to time and space.

All that belongs to space time is a limitation. For example, personal love causes pain because it seeks to break the limitations in which it is locked up. Instead of ease this task to love, the man is fighting against him. He tightens his limitations by believing thus to be secure against suffering. Its possessive sense erects against the love of real walls: they are called loyalty, fidelity, gift of self.

Suffering in love comes from this false conception of love. We want to enclose it within individual limits, and in order not to suffer we cling to the very cause that creates suffering.

The man who loves within all the limitations built by the "I" seeks at every moment to adjust his love to these limitations. His jealousy, his desire, all his actions, his thoughts, his emotions strive, in this work of adjustment, to adapt his love to an illusion, to keep it within the limits of his circle.

Since this adaptation wants to be based on an illusion, it is absolutely illusory. All this work is sterile and will not explain the cause of the suffering. Within the circle drawn by the "I", man suffers and struggles to establish a permanent link between two opposing and irreducible elements created by this circle. He struggles with the dualities of love and jealousy, love and hate, the object and the subject, fear and hope. All he calls love exists only in this circle. True love, which is outside these limitations, seems to him inhuman; while he is the only truly human love.

True love, seen by the "I" from within its circle, seems cruel because the "I" understands compassion only as a help that comes within its own limits to comfort it. The truth seen from within this circle seems so monstrous and inaccessible that one does not even want to believe in its existence.

The man does not want to leave the circle. He believes that making adjustment efforts is living and making progress. To progress means to multiply: to multiply the objects of one's desires and loves or to multiply one's own desires by enlarging and strengthening oneself. But all these multiplications are only divisions, because the nature of the "I" is to be isolated, from which it can only separate and divide. In his circle detachment is impossible, one can only arrive at indifference.

When, martyred by suffering, the man decides to break the circle, he discovers what I have called pure action; which does not emanate from one's self and therefore does not depend on the other "I's". So, this action does not establish a relationship between an "I" and another "I", nor even a relationship between a personal point of view and "I": it does not establish relationships, it is. She is the fullness of detached love, which is Life. She is beyond separation and beyond unity. In her qualities have disappeared because she is not conditioned neither by space nor by time, she is the blossoming of Eternity.

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Truth is a country without a path. (Krishnamurti) +